Les cryptos ça pollue, ça ne sert à rien, ce n’est que de la spéculation… Les accusations les plus courantes envers notre écosystème sont nombreuses et les plus virulentes concernent souvent le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Pour beaucoup, Bitcoin et les cryptos sont de véritables far-west monétaires où criminels et arnaqueurs se retrouvent pour échapper aux autorités financières.
Les clichés ont la vie dure et malgré que ces accusations soient aujourd’hui largement réfutées par des études, ces idées reçues persistent dans le grand public. D’après Chainalisys, les activités illicites sur nos réseaux blockchain étaient largement en baisse en 2022 avec seulement 22 milliards de dollars. Ca parait beaucoup dit comme ça, mais il faut se dire que déjà, ben, c’est une industrie mondiale, et ensuite, les chiffres prennent en compte les hack qui secouent périodiquement la DeFi.
Bref, les cryptos c’est pas top pour ceux qui voudraient s’en servir à des fins illicites. C’est normal en même temps, on parle de registres publics et distribués, il n’y a littéralement rien qui soit plus transparent. Faire des trucs illégaux sur Bitcoin, c’est l’inscrire dans la blockchain ad vitam eternam à la vue de tous. Pas étonnant que les criminels préfèrent les bons vieux billets verts. Avec ça en tête, je vais en profiter pour vous parler d’une figure assez peu connue de l’écosystème.
Connu de tous les cybers enquêteurs de la planète, il aurait participé à la mise sur pied d’un des plus gros réseaux de blanchiment de l’histoire des cryptos. On parle d’entre 4 et 9 milliards de dollars, et pour l’époque, c’est assez colossal. Il a aussi été embrigadé malgré lui dans un bras de fer judiciaire d’anthologie qui n’en finit pas. Son cas est devenu extrêmement politique et a même été une grande source de tension entre la Russie et les Etats-Unis. Laissez-moi vous raconter l’histoire d’Alexander Vinnik.
Vinnik, l’enfant prodige de l’informatique
Vinnik est un petit génie de l’informatique Russe. On sait très peu de choses sur lui en dehors des affaires criminelles qui l’entourent. Alors, retour en 2017 sur une plage de la station balnéaire d’Halkidiki en Grèce. Le soleil brille, les oiseaux chantent, le prix du bitcoin explose à la hausse. On est en plein dans un bull market d’anthologie.
En quelques minutes, une vingtaine d’agents du FBI se rassemblent sur la petite plage pour arrêter un homme accompagné de sa femme et de ses deux enfants. Ça faisait plusieurs années qu’ils étaient sur le coup et cette enquête a véritablement rassemblé tout le gratin des autorités américaines.
Pour comprendre la suite, il va falloir remonter un peu dans le temps, en 2011 plus précisément. Et oui, on revient à l’époque d’un bitcoin à quelques euros, d’un Coinmarketcap qui tient sur une seule page et des toutes premières plateformes d’échange.
Parmi ces nouvelles plateformes justement, vous connaissez probablement le tristement célèbre Mt Gox. C’était un mastodonte et clairement le numéro 1 de son époque en termes de volumes. Mais, tout numéro 1 a un numéro 2 et il se peut que vous ne le connaissiez pas.
Ce numéro 2, c’est BTC-e. Il s’agit d’une plateforme d’échange russe qui a opéré entre 2011 et 2017. Début 2015, pratiquement 3% des transactions en bitcoin passaient par ce site. Le truc était plutôt gros, surtout pour l’époque et surtout considérant la concurrence.
BTC-e, l’exchange crypto qui ne passe pas inaperçu
L’exchange tournait à plein régime et semblait tremper dans des affaires assez borderlines. En 2017, la FinCEN, l’organe de contrôle du blanchiment d’argent et du financement du terrorisme des États-Unis, commence à l’avoir mauvaise.
Il y a cet exchange russe qui propose de swap des cryptos vers du dollar, mais qui ne respecte absolument aucune réglementation en matière de KYC ou de lutte contre le blanchiment d’argent. En 6 petites années, l’entreprise a traité près de 10 milliards de dollars de transactions cryptos et permis à plus d’un million de clients d’en échanger un peu comme ils voulaient.
D’après les autorités américaines, c’était aussi un véritable nid à criminels. Le site faisait, par exemple, transiter des fonds de ransomware, qui sont des logiciels qui demandent des rançons en faisant du chantage, et le tout parfois payé en cryptos. La plateforme aurait aussi servi à blanchir près de 300.000 bitcoins provenant du hack de son concurrent direct, Mt Gox.
Ça commence à bien faire, et après avoir infligé des amendes, les autorités américaines vont finalement passer à l’action. C’est là qu’à lieu l’intervention musclée du FBI sur la petite plage grecque. Ils passent les menottes à Vinnik et ce dernier se retrouve embourbé dans un engrenage judiciaire. En fait c’est pas étonnant, il ne se cachait pas vraiment et déclarait publiquement travailler avec BTC-e, en plus de faire une sorte de campagne anti-dollars et pro-Bitcoin. Forcément, ça n’a pas plu, et ça a bien aidé à l’identifier.
Vinnik dans les griffes de la justice US
À son arrestation, les chefs d’accusation pleuvent littéralement. Les autorités américaines lui reprochent d’avoir blanchi de l’argent, mais pas que. On l’accuse aussi de faciliter des crimes comme les trafics de drogue, la corruption, le piratage informatique, la fraude, l’usurpation d’identité et la fraude au remboursement d’impôts. Il aurait même participé à faire tomber Mt Gox.
Evidemment, avec tout ce chaos, la plateforme BTC-e est tombée elle aussi. Le site est mis hors ligne et tous les fonds des clients sont évidemment gelés avec. Très vite, les États-Unis vont réussir à mettre la main sur environ 30% des avoirs de la plateforme. Mais bon, il reste encore une bonne partie des fonds des clients entre les mains des créateurs du site, et Chainalisys va contribuer à monitorer tout ça. D’ailleurs, les gérants du site ont mis en place un système d’émission de token pour symboliser l’argent des investisseurs et permettre un remboursement ultérieur. Pour ceux qui voient de quoi je parle, c’est un peu ce qu’avait fait Bitfinex au moment de son hack.
En tout, une vingtaine de chefs d’accusations sont attribués à Vinnik et un véritable bras de fer juridique est sur le point de commencer. Autant vous dire que c’est lui qu’on a trouvé, et que c’est lui qui prend un peu pour tout le monde. Il est accusé d’avoir touché une partie des rançons liées à Locky, un ransomware qui bloque un ordinateur et ne le débloque qu’en échange d’une somme d’argent. Ce logiciel aurait récolté plus de 130 millions de dollars. Évidemment, il est aussi accusé de tout ce qui touche de près ou de loin à BTC-e.
Et du coup, c’est là que ça se corse. Le mec est un Russe arrêté en Grèce, on peut légitimement se demander ce que les États-Unis viennent faire là. Ben figurez-vous que lui aussi se le demande. Il réclame instantanément d’être extradé en Russie, car pour lui, ce n’est pas à un pays qu’il n’a jamais visité et duquel il ne dépend pas de le juger.
A la place, il sera transféré en France, parce qu’il se trouve que l’Hexagone réclame aussi son jugement. Devant les tribunaux, Alexander va nier en bloc toutes les charges qui pèsent contre lui. Il expliquera avoir été trompé par les fondateurs de BTC-e. A l’époque, quand il questionne la légalité de ses actions, on lui répond que tout est en ordre. Son erreur finalement, ça serait d’avoir fait confiance aux mauvaises personnes. En fait il faut savoir une chose, c’est que Vinnik bossait avec BTC-e en tant que freelance. Il ne connaissait pas personnellement les administrateurs du site.
Au-delà de ça, y’a une ambiance bizarre au procès. Sur le banc des accusés, on retrouve un russe de 42 ans, père de famille et dans un état de santé assez déplorable à cause de toute cette affaire. Même du côté des victimes on se pose des questions. La justice internationale ne serait-elle pas en train de faire peser un poids bien trop important sur les épaules de ce mec ?
En plus, les casseroles s’accumulent. Les avocats de Vinnik dénoncent une atteinte évidente aux droits de l’Homme. Entre un manque de traduction des documents judiciaires en Russe, des interrogatoires illégaux et une privation flagrante de se défendre, c’est pas beau à voir. Vu la peine qu’il encourt aux Etats-Unis, Vinnik a fini par se résoudre. Soit il fait face à un procès équitable, soit c’est la perpétuité qui l’attend. Ses avocats ont aussi pointé des irrégularités sur le mandat d’arrêt européen dont il fait l’objet et accusent la justice de ne pas les laisser s’exprimer et défendre leur client convenablement.
Pas facile d’être entre deux feus, surtout quand il s’agit de la Russie et des Etats-Unis. A Paris, la quasi intégralité des chefs d’accusation seront finalement abandonnés, sauf ceux de blanchiment d’argent, et il écopera de 5 ans d’emprisonnement.
Le truc, c’est que là c’est que la France. Lui, il est encore accusé de tout un tas de choses par les Etats-Unis. Côté Russe, on l’accuse d’une petite fraude de quelques milliers de dollars. Mais bon, la Russie, c’est pas pour tout de suite à priori.
A l’issue du procès, les Etats-Unis retirent leur demande d’extradition d’Alexander depuis la France. Ce n’est pas qu’ils lâchent enfin l’affaire, c’est plutôt qu’ils veulent accélérer les choses. Oui parce qu’en fait, la Grèce avait une condition pour le départ de Vinnik vers l’Hexagone. Cette condition, c’est son retour à Athènes après jugement. Ce retour est alors synonyme d’extradition vers les États-Unis, avant la Russie, classée troisième dans l’ordre d’extradition.
Extradition d’Alexander Vinnik vers la France
Pour ses avocats, c’est une victoire en demi-teinte. Certes, les principaux chefs d’accusation sont tombés en France, mais l’extradition vers les USA semble inévitable, et il risque très gros. Quand je dis très gros, c’est un euphémisme. Il pourrait prendre jusqu’à 55 ans de prison. Pour eux, Vinnik est une victime dans cette affaire qui le dépasse. C’est le coupable idéal aux yeux des Occidentaux qui voient en lui un dangereux hackeur russe que l’on doit vite enfermer, ou s’approprier. Certains craignent même qu’il serve en quelque sorte d’otage russe aux Etats-Unis dans le cadre de la situation en Ukraine qui, à l’époque, commence à sérieusement s’envenimer.
Pour sa femme c’est clair et net, tout ça est avant tout politique. Les Etats-Unis le veulent pour ses compétences et ses connaissances, c’est pour ça qu’ils ne lâchent pas le morceau. Vinnik de son côté ne cessera de clamer haut et fort son innocence et fera même plusieurs grèves de la faim, arguant que ses droits ont été totalement bafoués.
Le truc, c’est que non seulement c’est un petit génie du Bitcoin, mais à ce moment-là les Etats-Unis sont en plein milieu d’un conflit invisible avec la Russie concernant des échanges de prisonniers. En gros, l’administration américaine voudrait potentiellement se servir de Vinnik comme monnaie d’échange contre des ressortissants américains sur le territoire Russe.
Par exemple, Brittney Griner, une star basketteuse professionnelle accusée de trafic de drogue et emprisonnée en Russie a été libérée en échange de Viktor Brout, un trafiquant d’armes Russe. Ce type d’échange arrive et vous voyez très bien la dimension politique que l’arrestation de Vinnik a finie par prendre. Les américains, eux, ils pensent à Paul Whelan, un ressortissant accusé d’espionnage. Ils voudraient l’échanger contre Vinnik mais bon, pour l’instant ça n’aboutit pas.
Vinnik finit par être extradé aux Etats-Unis et pour les Russes, ça ne ressemble à rien d’autre qu’un enlèvement. Dès son retour en Grèce, il est placé dans un avion privé affrété spécialement pour l’occasion direction Boston puis San Francisco.
Vinnik plaide coupable !
Depuis son arrestation en 2017, Vinnik a toujours clamé son innocence, mais on a eu droit récemment à un revirement de situation. Le 4 mai de cette année, devant les tribunaux américains, ce dernier va plaider coupable de complot en vue de blanchir de l’argent. Dans le même temps, plusieurs enquêtes ont révélé des sociétés écrans appartenant à Vinnik et aussi des fonds qui se retrouvent étrangement dans les caisses du FSB, les services de renseignement Russe.
On ne connait pas trop les tenants et les aboutissants de tout ça, mais en tout cas les faits sont là. Vinnik plaide coupable pour une partie des chefs d’accusation et risque une dizaine d’années de prison. Ce virage à 180 degrés s’inscrit dans une stratégie un peu particulière élaborée par les avocats de Vinnik. En gros, l’idée, c’est de pouvoir demander un échange de prisonnier et surtout, c’est peut-être une façon d’accélérer les choses. Ça fait 7 ans que la machine judiciaire s’est mise en route et que Vinnik a été écroué. 7 ans, c’est long, particulièrement quand plusieurs juridictions se tirent la bourre pour savoir qui aura le privilège de vous mettre dans sa prison.
Entre temps, la femme de Vinnik est malheureusement décédée et ses enfants grandissent sans leurs parents. Il reste encore des zones d’ombre sur son cas. Il n’est probablement pas tout blanc, mais on fait probablement peser un peu trop de choses sur ses épaules et aujourd’hui, il paie le prix fort.
En tout cas, l’administration américaine semble bien décidée à faire le ménage de tous les mauvais élèves de la crypto. Sam Bankman-Fried a pris 25 ans, Changpeng Zhao, l’ancien PDG de Binance est maintenant derrière les barreaux. Do Know et l’équipe derrière Terra Luna ont été accusés de fraude, bref, on assiste à un véritable ménage de printemps.
Aux yeux des autorités américaines, Vinnik a exploité BTC-e avec l’intention de promouvoir des activités illégales et a été responsable d’une perte d’au moins 121 millions de dollars. Pour ça, il risque une peine maximale de 20 ans de prison lorsqu’il sera condamné à San Francisco. Alors, bouc émissaire ou bien criminel qu’il faut à tout prix enfermer ? Toute cette affaire n’est pas terminée, mais le dénouement semble plus proche que jamais. Affaire à suivre donc !