couverture du livre
L’œuvre de Torre Hamming raconte comment et pourquoi un groupe qui a a priori bien plus de points d’accord que de divergences a mené une guerre hautement contre-productive pour les djihadistes. Il s’agit d’une guerre civile qui a fait environ 8 000 morts entre 2014 et 2019. Du désert du Sahara à l’Afghanistan, l’épicentre était la Syrie, où salafistes et islamistes se sont livrés à de violents affrontements en raison de rivalités politiques et de conflits théologiques. Contrairement à la croyance largement répandue selon laquelle Al-Qaïda et Daesh se sont battus en raison de leurs interprétations religieuses, les chercheurs danois estiment que c’est la recherche de la suprématie qui les a conduits à se séparer, à se haïr et à s’entre-tuer par-dessus tout. Même si leurs pratiques djihadistes sont fondamentalement différentes, cet aspect joue un rôle secondaire dans leur lutte fratricide par rapport à la lutte pour la suprématie au sein du mouvement djihadiste sunnite (SJM dans cet ouvrage).
Nous devons revenir aux bases du salafo-jihadisme moderne et comprendre comment différentes visions au sein d’un même groupe peuvent conduire à la séparation, voire à un conflit direct. Torre Hamming commence par approfondir l’histoire des disputes et des conflits idéologiques entre jihadistes dans les années 1980 et 1990, qui ont caractérisé le premier schisme au sein du SJM dû à « l’extrémisme », notamment par l’excommunication des talibans (Takfir). « École de Jalalabad ». L’école de Jalalabad a également influencé le Groupe islamique armé (GIA) algérien, qui a rejeté ceux qui ne partageaient pas ses méthodes, y compris l’organisation fondée par Ben Laden. Cependant, le premier précédent majeur qui a mis en lumière la logique des alliances et de la désintégration ultérieure entre groupes djihadistes a été trouvé en Irak avec la déclaration de l’État islamique en Irak.[1] Écrit par Zarqawi. nommé pour la première fois par al-Qaïda et l’un de ses principaux idéologues, al-Maqdisi[2]groupe dirigé par des terroristes jordaniens, a progressivement gagné son indépendance face à l’autorité de Ben Laden et de Zawahiri, puis a été désavoué par ces derniers.
Le 11 septembre a révélé qu’Al-Qaïda était une organisation majeure au sein du SJM. Cette domination perdura jusqu’à l’occupation de Mossoul par Daesh, qui devint un groupe de référence pour le mouvement jihadiste et lui permit d’adopter une attitude plus agressive contre Zawahiri, dont l’escadre était déjà très affaiblie. Historiquement, si Daesh est né en Irak d’une ancienne branche d’Al-Qaïda, c’est en Syrie qu’a eu lieu la guerre avec les autres jihadistes. Après avoir réaffirmé leur attachement à Zawahiri, le groupe qaïdiste al-Nosra et son chef al-Jolani ont rejeté le serment d’allégeance (baya’a) à Daesh. Puis, à travers les discours des idéologues, les déclarations des dirigeants et les discussions sur les réseaux sociaux, la fitnah (incitation, discorde) a laissé place à une guerre à grande échelle entre jihadistes. La violence sans précédent utilisée par Daesh pour protéger et étendre son califat en a fait un mouvement de masse attractif dans le monde entier. Cet avantage était aussi une manière de se distinguer de ses rivaux syriens, qui maintiennent un agenda limité à la chute du régime d’Assad et à l’établissement d’une société étatique régie par la charia. Cette dichotomie entre khalifal et objectif universel, associée à des politiques communautaristes qui font largement appel au takfir (excommunication) et au djihadisme local, sera visible au-delà de l’Est.
Torre Hamming révèle également le rôle clé des idéologues tout au long de son livre. De telles actions et la légitimation ou la délégitimation de ces groupes par des personnalités sanctionnées par des djihadistes comme Abou Mohammed al-Maqdisi et Abou Qatada al-Filistini sont importantes pour garantir que le groupe ne soit pas à long terme un aspect important de sa capacité à s’affirmer. Même si Daesh a été globalement désapprouvé par les légendes vivantes du jihad, il a réussi à compenser ce manque de légitimité académique par une communication plus disciplinée. Enfin, une scission se produit au sein même du groupe djihadiste, opposant les idéologues les uns aux autres. L’ouvrage montre par exemple que Daesh, bien que généralement décrit comme relativement homogène, a connu deux tendances internes depuis 2016. La première est défendue par son principal idéologue, Turki al-Binali, et la seconde est une tendance parmi les dirigeants de l’État islamique. Relativement « modéré » (c’est-à-dire ne considère pas le takfir comme la base de la religion), y compris al-Adnani. Une défaite militaire en 2016 et une série d’assassinats de hauts dirigeants ont alimenté la montée en puissance d’Ahmad al-Hajmi et sa vision encore plus radicale du takfir comme pilier de l’Islam.
Autres points importants de ce livre :
Les djihadistes, en particulier la jeune génération, considèrent que combattre d’autres djihadistes est de plus en plus normal, mais jusque dans les années 2010, les combats entre djihadistes étaient un sujet très sensible, un sujet tabou. C’est aussi une lutte pour obtenir des ressources et recruter des militants pour montrer la voie. Cause : chaque groupe cherche à capturer ses concurrents et à s’emparer de leurs ressources, mais Al-Qaïda n’a jamais accepté la coopération d’autres groupes et reste actif aujourd’hui grâce aux liens sociaux noués avec des individus clés. Cela influence l’idéologie du groupe, incitant certains à sortir de la logique du jihad et à trouver un paradigme salafiste. L’ancienne branche d’Al-Qaïda en Syrie, en rupture avec sa maison mère, contrôle désormais un territoire et une population importante, et cherche à apparaître comme une autorité légitime aux yeux de la population et de la communauté internationale.
[1] À l’origine, Al-Qaïda en Irak
[2] Une personne qui était également le chef de Zarqawi
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