Aujourd’hui je vais vous présenter l’une des personnalités les plus importantes de l’écosystème crypto. Il fait partie du cercle très fermé des multimilliardaires et Forbes l’a même classé dans le top 10 des personnes les plus riches au monde du secteur des cryptomonnaies.
Il a créé le site à l’origine de l’une des plus grosses catastrophes de l’écosystème crypto, conçu deux des plus grosses blockchains en termes de capitalisation et est indéniablement l’une des personnalités ayant le plus travaillé à la démocratisation de notre industrie. Petit génie de l’informatique et fervent défenseur des libertés individuelles, aujourd’hui on va se pencher sur l’histoire passionnante de Jed McCaleb.
Il était une fois Jed McCaleb
Né en 1975 à Fayetteville, dans l’État du Nebraska aux Etats-Unis et élevé par une mère célibataire qui a fait du journalisme le coeur de son activité, Jed était très clairement un petit prodige des mathématiques et des sciences dures. Il réussit à intégrer la prestigieuse université de Berkeley mais finit par se lasser de cet environnement trop scolaire, pas assez stimulant. Lui ce qu’il veut, ce à quoi il aspire, c’est la tech. Très rapidement, il laisse tomber la fac et s’envole pour New-York, histoire de tenter sa chance.
Là-bas, il fonde MetaMachine et met au point un logiciel nommé eDonkey2000. Ce software est une sorte de concurrent à eMule et Napster et permet le téléchargement et le partage de fichiers volumineux comme de la musique, des films, ou encore des jeux vidéo. Très vite, il est rejoint par Sam Yagan un autre entrepreneur qui se trouve être le confondateur d’OkCupid, un site de rencontres plutôt connu aux États-Unis. À cette période, Jed est le directeur technique de son logiciel qui attire de plus en plus de monde. À son pic, eDonkey rassemblait plusieurs millions d’utilisateurs à n’importe quel moment de la journée.
En 2006, de gros labels musicaux commencent à l’avoir mauvaise et la sentence finit par tomber. La plateforme doit fermer ses portes et l’entreprise doit payer 30 millions de dollars de dommages et intérêts à la Recording Industry Association of America. La RIAA, c’est l’association interprofessionnelle chargée de défendre les intérêts de l’industrie musicale aux États-Unis. C’est un peu l’équivalent de la SNEP en France, pour ceux qui connaissent.
Bref, il sort de cette affaire avec tout de même quelques millions en poche et l’histoire de Jed prend une tout autre tournure en 2008 avec un test de grossesse positif. Pas le sien, évidemment, mais celui de sa copine de l’époque, Misoon Burzlaff. Ensemble, ils décident de fonder une famille et d’acheter une petite maison avec piscine au nord de New-York. Là bas, les cartons de pizza s’entassent au millieu d’une pile de bouquins sur les neurosciences et l’intelligence artificielle alors que Jed développe son propre jeu vidéo. Sa femme a du mal avec tout ça mais finira par accepter que cela fait partie de l’esprit vibrant et foisonnant de son mari.
La Ruée vers l’or numérique
Au printemps de l’année 2010, il tombe par hasard sur l’invention d’un certain Satoshi Nakamoto qui proposait une façon pacifiste de redonner du pouvoir au peuple. Il en connaissait un rayon sur les réseaux peer-to-peer et sur le fait d’opérer au-delà des frontières de la propriété et du contrôle gouvernemental. À ce moment-là, Bitcoin lui apparaissait comme particulièrement en accord avec les idées derrière eDonkey ou Napster, et autant vous dire qu’il n’a pas laissé ça de côté.
Très vite, Jed se rendit auprès de sa femme pour se confier. Il était frustré. Il y avait cette super invention appelée Bitcoin, un mélange de trucs de nerds teinté d’un esprit libertarien complètement unique en son genre, mais il n’arrivait tout simplement pas à s’en procurer. À cette époque, pas de Binance, pas de Coinbase, pas de Kraken, ceux qui veulent se procurer des bitcoins doivent le faire de gré-à-gré, ou bien par le biais de faucet, c’est-à-dire des distributions gratuites de bitcoins. Oui oui, ça a existé, à l’époque on pouvait se faire transférer 5 bitcoins simplement en résolvant un CAPTCHA. L’équivalent d’environ 350.000 dollars aujourd’hui simplement en cochant une case sur un site internet, ça fait rêver.
Une idée traverse l’esprit de Jed. Pour prospérer, une monnaie décentralisée a forcément besoin d’un lieu d’échange fiable et sécurisé. Il voulait créer un site lui permettant à lui et à tout le monde d’acheter et de vendre des bitcoins, c’est comme ça qu’il a eu l’idée de l’un des tout premiers exchanges de l’Histoire de l’écosystème crypto. Ni une ni deux, il en parle à sa femme, et le lendemain, le site était sur pied. Il fallait maintenant lui trouver un nom. Bitcoinexchange.com ? Bitcointrading.com ? Pas du tout.
Jed s’est souvenu d’un nom de domaine qu’il avait acquis en 2007, ce domaine, c’était MtGox.com. À l’origine, le site était voué à devenir un lieu d’échange pour les cartes du célèbre jeu de rôle Magic: The Gathering. Pour ceux qui ne connaissent pas, c’est un peu comme Yu-Gi-Oh, mais… en un peu plus nerd. D’ailleurs MtGox veut littéralement dire Magic The Gathering Online Exchange, ça ne s’invente pas.
C’était très différent de ce qui se faisait à l’époque en matière de plateforme d’échange, particulièrement parce qu’à ce moment-là, Jed propose l’opportunité de déposer directement de l’argent via PayPal, et ce malgré le fait qu’il enfreint clairement la loi. Virtuellement, il pouvait recevoir de l’argent de n’importe où à travers le monde et les barrières à l’entrée étaient vraiment minces. Très vite, le site est devenu un incontournable.
En l’espace de trois ans à peine, Mt. Gox traitait plus de 70 % de l’intégralité des transactions en bitcoins. La valeur du bitcoin a grimpé en flèche au cours de l’année 2013, passant de 13 à 900 dollars, et s’échangeant même brièvement au-dessus de 1100 dollars. De 10 à 1000 dollars, c’était exceptionnel. Tout le monde connaissait le bitcoin, tout le monde en voulait, et Jed leur en servait sur un plateau d’argent avec MtGox.
Quand les gens demandaient à Jed pourquoi acheter sur MtGox, celui-ci répondait souvent la même chose. MtGox est toujours en ligne, automatisé, plus rapide et dispose d’un hébergement dédié et d’une interface plus agréable. Avec Mt. Gox, McCaleb a créé un environnement familier permettant aux gens de stocker, d’échanger et d’acheter des bitcoins. Même lui était surpris de la vitesse à laquelle les gens se sont mis à croire en son système et à lui envoyer des fonds directement sur son PayPal. Il vend le site en 2011 à un entrepreneur français, Mark Karpelès et reste tout de même actionnaire minoritaire.
MtGox venait de populariser Bitcoin et il a aussi failli le détruire. En février 2014, une faille de sécurité est découverte sur le site et à la surprise générale, MtGox suspend ses opérations et ferme boutique avec près de 850.000 bitcoins manquant à l’appel. C’est un cataclysme dans l’écosystème, le principal exchange sur lequel se passait la quasi-intégralité du volume de Bitcoin venait de fermer ses portes et de voler ses clients. Je ne vous refais pas toute l’Histoire, ca mériterait une vidéo à part entière puisqu’on observe encore des relents de cette affaire 10 ans après.
1 mois de plus pour récupèrer les bitcoins
Le loup de la blockchain
À ce moment-là, Jed est bien loin, puisque dès 2011, juste après la vente du site, il travaille à un tout autre projet. Il veut créer un meilleur Bitcoin, rien que ça. Il faut bien se dire qu’à ce moment-là, Bitcoin a deux ans à peine et commence tout juste à émerger du néant. Jed s’attèle à la création de Ripple, devenu plus tard Ripple Labs. Le nouveau protocole conçu par notre petit génie des mathématiques se présente comme un réseau pouvant être utilisé pour faire circuler toute sorte d’actifs, pas juste du bitcoin. Ripple apparaît aux yeux du public comme une alternative à l’invention de Satoshi Nakamoto, moins risquée pour les banques, moins menaçante pour les États et l’ordre en place. Ce n’est pas qu’une nouvelle monnaie, c’est aussi un nouveau moyen d’échanger des actifs à travers le monde.
Il sera très vite rejoint par deux entrepreneurs et développeurs de la Silicon Valley, Arthur Britto et David Schwartz. À ce moment-là, le NASDAQ, l’indice des valeurs technologiques aux États-Unis explose, les actions de Google sont au plus haut et tout le monde veut sa part du gâteau, tout le monde veut révolutionner le monde. La dream team finit d’être complétée avec Chris Larsen, un businessman bien connu dans le milieu de la tech.
Avec Larsen qui se présente devant les banquiers en costume bien taillé et McCaleb qui joue le rôle du geek un peu fou qui veut disrupter l’industrie, Ripple est rapidement devenu le successeur consensuel de Bitcoin. L’entreprise disposait d’esprits brillants, jouissait d’une gestion très avisée et de relations bancaires très bien ficelées. Pour tout le petit monde de la FinTech, il était clair que Ripple avait le potentiel d’égaler et de, pourquoi pas, surpasser Bitcoin.
L’entreprise grandit rapidement et attire à la fois des grosses banques, mais aussi de gros fonds d’investissement. Les millions pleuvent littéralement entre les mains de la petite équipe derrière Ripple et Jed continuera à se charger du développement et de la sécurité du réseau.
Côté perso, son aventure chez Ripple lui a donné l’occasion de rencontrer Joyce Kim par le biais de Jesse Powell. Vous le connaissez peut-être, il s’agit d’un investisseur de la première heure dans Ripple et aussi le fondateur et chairman de l’exchange Kraken. C’est vraiment un tout petit monde.
De Ripple à Stellar
Bref, Joyce Kim possède un CV tout bonnement prestigieux. Harvard, Cornell, Columbia Law, Innocence Project, Shearman & Sterling, deux postes en tant qu’avocate, fondatrice et PDG de deux start-ups et investisseuse en capital-risque… Rien que ça. Après leur rencontre, la relation de Jed avec sa femme commence à s’étioler, et ils finissent par divorcer.
Ce qui devait arriver arriva, Jed et Joyce commencent à sortir ensemble et cette dernière rejoint les rangs de Ripple avec tout plein d’idées en tête, notamment celle de lancer des rumeurs comme quoi Jed serait en fait Satoshi Nakamoto, dans le but de donner de la visibilité à l’entreprise. Quelques désaccords ont eu lieu au sein de l’équipe, notamment entre Chris Larsen et Joyce, et celle-ci finira par quitter Ripple aussi vite qu’elle est arrivée.
Jed est quelqu’un qui aime quand les choses bougent, il aime créer des trucs qui rendent nerveux les gens puissants. En 2013, en même temps que Joyce, il quitte définitivement Ripple mais conserve cependant une bonne partie de ses XRP ainsi qu’une place au board des directeurs, jusqu’en 2014. Pour l’anecdote, un accord a été trouvé entre Ripple et Jed lorsque ce dernier a annoncé vouloir vendre ses XRP et que le token a perdu 40% en l’espace de 24 heures. À la suite de ça, il va écouler l’équivalent de 2.5 milliards de dollars en tokens XRP entre 2020 et 2022, soit à peu près 4 milliards de jetons.
Trois mois après avoir laissé sa place au board de Ripple, il fonde Stellar. Cette nouvelle entreprise peut-être décrite assez simplement, c’est Ripple, mais à destination du peuple. Stellar est un fork de Ripple et là où le XRP s’adresse particulièrement aux banques et autres institutions financières, Stellar s’adresse plutôt aux populations non bancarisées.
Bitcoin et XLM
Nouveau départ avec Stellar
Pour se lancer, Stellar a bénéficié de nombreux soutiens, et notamment celui de Stripe, une multinationale bien connue spécialisée dans les paiements sur Internet. Cette dernière va prêter à Stellar près de 3 millions de dollars pour entamer son développement. Patrick Collison, cofondateur et PDG de Stripe, est d’ailleurs membre du conseil d’administration et conseiller de Stellar. Et dans la Sillicon Valley, “qui tu connais” est directement lié à “combien tu vaux”, et ce coup de pouce de Stripe a vraiment contribué à propulser Stellar.
D’ailleurs, Stripe était initialement censé conclure un deal avec Ripple pour financer l’entreprise, mais l’accord est finalement mystérieusement tombé à l’eau, et encore aujourd’hui, on ne sait pas trop pourquoi. Donc autant vous dire que Stellar qui reprend le code source de Ripple, et qui se fait financer par Stripe, c’est un sacré pied-de-nez de Jed à son ancienne entreprise.
Il faut bien se dire une chose, Stripe est un mastodonte du business des paiements, sa compliance avec les autorités est exemplaire, et on pourrait penser un peu naïvement que ça ferait rentrer Jed dans le moule, qu’il se serait assagi et aurait mis de côté ses idées ultra libertariennes. Mais il se pourrait bien que ce soit une façade finalement. Patrick Collinson, dont je vous parlais à l’instant, fait un peu figure d’entrepreneur gentil, tellement dévoué envers les banques qu’il souhaite les aider à entrer dans l’ère du 21ᵉ siècle et de la révolution blockchain.
C’est louable, mais certains évoquent le fait qu’en privé, il se trouve être bien plus incisif envers les institutions. Un jour, il aurait par exemple exprimé à un groupe d’ingénieurs à quel point les banques étaient stupides et pourquoi c’était très important de travailler à l’intérieur du système pour le disrupter.
En tout cas, Jed semble avoir trouvé une certaine stabilité avec le développement de Stellar. C’est un peu ironique finalement, un génie de l’informatique fervent défenseur des libertés individuelles qui se retrouve à avoir fondé deux des entreprises crypto les plus compatibles avec notre système actuel ? Difficile à croire dit comme ça, mais c’est en tout cas l’image qu’il choisit de renvoyer. D’ailleurs, la CEO actuelle de Stellar, Denelle Dixon, est l’ancienne responsable des opérations chez Mozilla et possède bien sûr sa fiche au World Economic Forum. Les liens entre Stellar et les divers organismes de réglementation se resserrent, et l’entreprise tente de se positionner comme un pont entre le monde de la crypto et la finance traditionnelle.
Il se pourrait bien que Jed soit sur le bon projet, après tout, avec l’avènement des stablecoins, la tokenisation d’actifs, et aussi l’apparition des monnaies numériques des banques centrales, il faudra bien des infrastructures pour faire transiter tout ça. Stellar pourrait être l’un des projets destinés à ça, d’autant que leur principal concurrent, Ripple, n’est vraiment pas vu d’un bon œil par les régulateurs et est encore en procès à l’heure actuelle.
En tout cas, Jed McCaleb est quelqu’un qui a beaucoup contribué à notre écosystème, que ce soit en bien pour les uns, en mal pour les autres. Qu’on le veuille ou non, il a d’ores et déjà marqué l’histoire de cette industrie en créant MtGox, l’un des tout premiers exchanges de bitcoins au monde. Ripple et Stellar sont également deux projets phares de l’écosystème, qu’on aime ou qu’on déteste, il faut quand même admettre que ces deux technologies sont fonctionnelles et rassemblent de grosses communautés très engagées ainsi qu’une forte capitalisation.
Encore aujourd’hui, il fait indéniablement partie des développeurs les plus talentueux de notre ère et n’en finit pas de s’intéresser à de nouvelles choses comme l’intelligence artificielle, et ça avant que cette technologie ne devienne la mode. En 2018, il faisait partie des personnes ayant donné de l’argent à une petite start-up dont vous connaissez maintenant le nom, OpenAI, l’entreprise derrière ChatGPT. Cette même année, Jed a été nommé par le New York Times comme l’une des personnalités phare de notre écosystème, au côté de Vitalik Buterin, entre autres.
Il est probable que nous n’ayons pas encore fini d’entendre parler de lui puisqu’au fond, Jed est une personne qui souhaite changer le monde, et il se donne les moyens pour y arriver. Il a d’ailleurs monté une organisation à but non-lucratif appelée Navigation Fund. Cette organisation a un seul but, affiché en page d’accueil du site, proposer des solutions audacieuses aux problèmes les plus urgents de la planète. Le futur nous dira ce que tout ça va donner.