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Conversations littéraires, œuvres choisies
Interview de Marie-Madeleine Rigopoulos
Je ne vous dirai pas grand-chose si je parle de la pointe de l’iceberg de sa carrière. Incontournable de l’industrie cinématographique depuis près de trois décennies, il fait partie de ces figures qui fédèrent les familles de toutes les générations. Mon invité, journaliste et animateur de radio et de télévision, n’est pas le genre de personne qu’une célébrité nourrirait en circuit fermé. Selon la perspective dans laquelle vous vous placez, vous en aurez besoin de plus ou de moins. Passionné de littérature, il est titulaire d’une maîtrise en Lettres Modernes de la Sorbonne et regarde le monde à travers l’objectif révélateur de son appareil photo. Ses photographies en noir et blanc révèlent non seulement l’âme des lieux et des personnes qu’il a photographiés, mais révèlent également des parties de lui-même. Après avoir publié « Le Spleen d’Ulysse » aux Editions de La Martinière l’année dernière, il vient de publier un petit livre intitulé « L’Esprit grec, mes Apophtegmes essentiels » aux excellentes Editions des Belles Lettres.
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des œuvres soigneusement sélectionnées
Ce livre, à la fois photographique et philosophique, est introduit par les mots suivants : « J’ai découvert le grec avant de savoir le lire. Je le ressentais comme le souvenir le plus intime de mon être, les sons qui venaient du grec. Il y avait une musique ancestrale qui dormait en moi. » « Une déclaration d’amour à la Grèce ? Ou aux philosophes ?
En effet, comme disent les poètes, lorsqu’on atteint la moitié du chemin de sa vie, cela devient un chemin d’introspection. Je suis à mi-chemin, ou plus de la moitié. On peut dire que le plus important, c’est que nous sommes en retard, mais en même temps nous ne pouvons plus quantifier nos vies de la même manière. Donc revenir aux origines et à la Grèce, c’est aussi un peu un retour à la Matrice. Quand je dis que j’ai découvert une langue, je l’ai entendue dans le ventre de ma mère. Je n’ai pas de mémoire directe ou écrite, mais j’ai une sorte de réminiscence qui est dans mon ADN et dans mon silence. C’est le grec que j’entends quand je ne parle pas ou quand je me tais dans la nature, mais le français est la première langue que j’apprends à l’école depuis que je suis née en France.
Bien que le grec soit votre racine, il me semble que le moteur de votre vie est le mélange de vos deux cultures…
La France et la Grèce ont des racines communes. La Grèce a été la matière première et le terrain à partir duquel ont germé plusieurs choses dans ma vie sociale, familiale et professionnelle. Mes deux parents étaient grecs. Ils ne parlaient pas beaucoup français, mais la République française m’a donné la possibilité de recevoir la même éducation que tout le monde. Mais la Grèce était toujours en embuscade, car il devrait probablement y retourner à un moment donné. Mes parents ne voulaient pas causer de problèmes. Il y avait toujours ce rêve, caractéristique de presque tous les Grecs, de retourner à Ithaque. C’est une sorte de nostalgie éternelle, un sentiment de rareté et un voyage plein de promesses. Mais la rencontre de ces deux cultures s’est plutôt bien passée. D’un côté les indicibles de pré-Socrate, de l’autre la logique de Descartes, c’est ce qui m’a déterminé aujourd’hui.
Vous avez dit que vous aviez choisi un métier où vous visitiez chaque semaine tous les foyers des Français parce que vous ne vouliez pas déranger vos parents.
C’est un paradoxe. Mais ma personnalité n’est pas non plus généralement très joyeuse. Je le garde pour le travail. J’étais plutôt réservé envers ma famille et je n’avais pas l’habitude d’être en meute ou en groupe. Bizarrement, je me suis vite retrouvé sur scène avec un micro lors des fêtes scolaires et des foires. Vous pouvez être sous les projecteurs lors de fêtes, dans le cadre de la vie communautaire ou en tant que représentant de classe. Cependant, en réalité, j’ai été une personne plutôt modeste dans la vie. ombre et lumière.
Quand a commencé votre relation avec la littérature ?
Depuis l’enfance. Mes parents n’étaient pas très instruits, mais ma mère m’a fait lire Jack London et L’Odyssée pendant qu’elle bricolait sa machine à coudre. Il n’y avait pas de télévision à la maison, j’écoutais un peu la radio, mais je lisais surtout des livres (…) Et finalement aujourd’hui, je lis plus de livres que lorsque j’étais étudiant.
Mais à quoi cela vous sert-il ?
C’est peut-être une forme de liberté et de réflexion. Le plus gros reste à faire, mais j’ai raté 1 000 choses. J’ai travaillé très vite et dur dans un métier où une image en remplace une autre. Un métier exceptionnel et cruel. J’ai souvent dû retourner à mes racines, de peur de devenir un jour quelqu’un que je ne reconnaîtrais pas dans le miroir. Cela m’a aidé à garder les pieds sur terre (…).
Les photographies sont également muettes. Paradoxal pour quelqu’un qui agit toujours par des actes et des paroles…
Il existe un proverbe asiatique qui dit : « Pour les paroles qui ne sont pas exprimées, nous offrons des fleurs du silence ». C’est ma conception de la photographie. Comme forme de résistance, c’est offrir quelque chose au temps qui passe (…) Prendre une photo aujourd’hui est une échelle temporelle qui indique si demain cette photo aura encore quelque chose à dire (…) En fait, elle l’est.Le moment où nous nous éloignons de la chronologie linéaire que nous connaissons en tant qu’humains et nous dirigeons vers le mythe et le kairos. [le temps de l’occasion opportune, ndlr]. La photographie est avant tout un combat contre la temporalité.
Votre livre, L’Esprit de la Grèce, mon Apotegum essentiel, rassemble des photos et des textes de philosophes anciens ainsi que d’écrivains grecs modernes. Qu’est-ce qui a motivé votre choix ?
La Grèce est entière. C’est byzantin, ancien et moderne. C’est un palinthe de cultures dont les langues, les philosophies et les idées s’entremêlent mais font toujours partie de la même famille. Qu’on parle le grec ancien ou le grec moderne (quelle que soit sa forme), c’est la même famille, et quand on lit des fragments de romans présocratiques et certains poètes d’aujourd’hui, je me sens aussi fort que quand je lis le poème (…) Cela. est l’hypothèse de départ.
« J’ai dû revenir à plusieurs reprises à mes racines pour éviter de devenir quelqu’un qui sera un jour méconnaissable dans le miroir. »
Il y a une phrase dans votre livre de la romancière Penelope Delta. « Le prix de la gloire, c’est du sang, du sang, des larmes qui coulent comme une rivière. » Connaissant votre parcours, on se dit qu’il y a une forte résonance.
Nous sommes tous l’avenir oublié de demain. Relisez Balzac, s’il vous plaît. La bourgeoisie, les riches, les intellectuels, les carriéristes, les Rubempres, les Rastignac… ils n’ont plus rien. Et même Balzac est devenu sans le sou dans ses dernières années. La renommée ne veut rien dire du tout. Car ni la notoriété ni ce que les gens pensent de moi ne m’appartiennent. Peu importe comment on le regarde, c’est un malentendu. (…) Je veux être libre de tout ça. Aujourd’hui, j’ai découvert que je suis reconnu pour mon travail à la télévision. Mais demain matin, cela pourrait changer en un clin d’œil (…) La télévision est le mythe de la caverne de Platon, c’est juste une projection, c’est mon ombre. La vraie question est : qui est enchaîné ? Un homme de l’autre côté du feu dont l’ombre apparaît sur l’écran, ou un homme devant la télévision.
En Grèce, nous avons des apotegums, des proverbes, des proverbes, c’est tout. Il y a des dictons pour chaque occasion.
Oui. Et surtout, on les apprend à l’école. Je me souviens que ma mère me demandait d’afficher dans le couloir un proverbe que j’avais mémorisé chaque semaine (…) Quand j’allais en Grèce ou dans les ports ou villages des îles, même les plus analphabètes… J’ai quelque chose à enseigner toi. Parce qu’ils ont une philosophie de vie. On retrouve la même chose en Corse et dans les Pouilles (…)
Cette préférence pour les proverbes et les écrits vient aussi du goût omniprésent des Grecs pour le théâtre et la poésie…
Les mots grecs avaient initialement un effet cathartique et thérapeutique. Comme un théâtre. Les tragédies et les comédies n’ont pas été inventées pour que les producteurs puissent gagner de l’argent en vendant des billets. Ils ont été inventés pour que les gens puissent faire leur deuil et suivre une thérapie personnelle à travers le drame et la joie des autres. De plus, dans des théâtres comme celui d’Épidaure, il y avait toujours un endroit où l’on pouvait consulter un médecin et recevoir un traitement mental et physique. Les mots ont été inventés non seulement pour la beauté des gestes et la création de phrases, mais aussi pour tenter de trouver des réponses (…) En ce sens, les mots étaient pour moi comme un fil d’Ariane.
Quel est le lien entre la Grèce antique, dont les philosophes, dramaturges et artistes sont connus dans le monde entier, et la Grèce moderne et sa situation chaotique ?
Nous ne savons pas s’il n’y a pas eu de troubles ou de guerres internes à l’époque de Démocrite. On parlait de démocratie, mais en même temps il y avait des esclaves et les femmes ne votaient pas. La Grèce antique n’était pas un monde idéal. Il est difficile d’imaginer qu’un Grec en toge nous transmette un message de vie pour retrouver notre équilibre intérieur. Mais je suis fasciné par les langues, et par les langues qui ont réussi à survivre à leur décadence. J’ai été frappé par la façon dont ils essayaient de comprendre leur raison d’être. Les mathématiciens et les historiens étaient aussi des mystiques. Ils avaient plusieurs cordes à leur arc car ils croyaient que tout était lié (…)
Quel rapport avec l’écriture ? Est-ce quelque chose que vous pratiquez juste pour vous-même ?
J’ai un cahier sur lequel j’écris depuis 30 ans. Certains d’entre eux datent des années 80 lorsque j’étais étudiant, et je les ai laissés en Grèce lors de mon déménagement, mais je les ai retrouvés l’été dernier. Nous pensons souvent à qui nous voulions être quand nous avions 15 ou 16 ans. Pour moi, la réponse réside dans ces notes…