Dans un passage célèbre du Prince, Machiavel nous exhorte à suivre la verità efftuale, ou « vérité effective » en politique, avant tout idéal de gouvernement. La vérité d’une action est la vérité de ses résultats. Un prince doit donc savoir qu’il ne doit pas être bon, et ne doit même pas hésiter à se montrer cruel si la situation l’exige. D’ailleurs, Machiavel ridiculise ceux qui « ont imaginé des républiques et des principautés dont nous n’avons jamais vu ou dont nous n’avions jamais soupçonné l’existence ». [1] ».
On s’est habitué à penser qu’il s’opposait par ces mots de manière assez générale aux grands hommes qui l’avaient précédé, depuis Platon et Aristote jusqu’à son successeur médiéval, Thomas d’Aquin. Mais les Florentins pensaient-ils à quelqu’un de plus en plus proche de chez eux ? C’est ce que James Hankins expose sans ambages dans Virtue Politics lorsqu’il tente d’explorer la pensée politique des humanistes italiens du « Long Quattrocento », de Boccace et Pétrarque à Machiavel. C’est l’une des questions à se poser. En faisant l’inventaire de leurs conceptions politiques, ce montant considérable permet également de réhistoriciser la parole des scribes florentins.
humanisme politique
James Hankins, historien des idées et professeur à l’université de Harvard, est un expert reconnu de la Renaissance italienne, notamment de la lecture et de la réécriture de Platon. [2] – et éditeur des textes de Leonardo Bruni et Marcille Ficino. Avec ce nouvel ouvrage, il présente pour la première fois une étude approfondie des aspects politiques de l’humanisme italien. Bien que rarement étudié, il est en réalité bien plus intéressant que ne le pensent généralement les historiens des idées. James Hankins note également une certaine tendance particulière constatée dans l’historiographie (y compris les historiens de l’école de Cambridge) vers une téléologie qui voudrait que l’histoire de la pensée politique ne soit que l’histoire de l’émergence des États modernes. Cela suppose que l’on veuille la fixer. il (p. 63-65). Le terme Repubblica, omniprésent dans les sources d’information, fournit une explication utile contre la tentation de l’anachronisme et des tendances à la simplification découlant de la tendance de « l’humanisme civique », un terme inventé par Hans Baron il y a près d’un siècle (p. 16). ). 63-102).
Mais le Quattrocento est visiblement profondément affecté par les enjeux gouvernementaux. Là aussi, les humanistes exercent une padeuma renouvelée. James Hankins reprend le terme, popularisé par l’ethnologue Leo Frobenius, pour désigner les principes spirituels de la civilisation, ce qui la caractérise et anime son élite culturelle. L’auteur affirme que l’humanisme n’est pas seulement un phénomène social et intellectuel, mais un mouvement de réforme qui exerce son influence à travers un ensemble de techniques sociales (paideia) (p. 2-4). Celles-ci visent à réaliser une véritable « révolution morale », selon l’expression de Kwame Anthony Appiah, reprise par James Hankins. L’humanisme politique est un art pratiqué directement dans l’âme (soulcraft).
L’auteur affirme également que les humanistes ont agi sur les valeurs morales de ceux qui étaient au pouvoir et entendaient les changer afin de changer le monde à travers elles. Pétrarque lui-même cherchait non seulement à éduquer le prince à la vertu, mais aussi à le protéger des critiques sévères qui le visaient depuis son entrée à Milan sous la protection de l’archevêque Giovanni Visconti en 1353. Il prétend que c’est possible. tyran et ainsi servir le bien public (pp. 118-124). D’autres auraient une vision plus pessimiste des problèmes du concile, comme Poggio Bracciolini dans son dialogue « De infelicitate principum » (p. 134-141) sur les malheurs ducaux.
lecture et interprétation anciennes
À travers The Politics of Virtue, James Hankins crée une galerie d’écrivains trop souvent considérés comme secondaires, et la politique de personnalités moins connues, toujours marquée par des lectures d’auteurs anciens, en révèle des aspects, chacun profitant de ces redécouvertes et diffusions imprimées.
Ce fut le cas de Kyriacus d’Ancône, « l’inventeur » moderne du terme démocratie à travers la copie latine (democratia), bien qu’il fasse également partie de ces mots rarement utilisés. (p.305-317). George de Trébizonde, en revanche, s’oppose à Platon et devient un singulier promoteur de villes cosmopolites et d’une forte mobilité sociale, James Hankins reconnaissant même en lui un précurseur des libéraux modernes (p . 335-350). Francesco Filelfo, au contraire, défend le chauvinisme à travers des références à Sparte (p. 351-363).
Cependant, c’est toujours la notion de vertu et ses valeurs qui guident la discussion. Là encore, les modèles anciens sont souvent cités par les humanistes qui fondent leurs arguments sur des idéalisations de sources et d’exemples anciens, mais ils ne font pas l’unanimité. La figure de César a ainsi donné lieu à des interprétations qui oscillent entre apologies du plus noble des Romains (Pétrarque, Coluccio Saltati, Guarino de Vérone) et condamnations cinglantes de l’oppression (Poggio Bracciolini (p. 124-134).
Normes de vertu, de qualité du gouvernement et de légitimité
Le choix de James Hankins de la vertu comme concept clé comportait le risque de révéler ce qu’il y avait de plus distinctif dans la dimension politique d’un humanisme ressuscité. Ce même concept dominait également la pensée gouvernementale médiévale et, à première vue, le concept de soulcraft rappelle la nature prescriptive des traités et des miroirs médiévaux.
L’auteur parvient cependant à montrer la spécificité du discours politique humaniste. Estimant que l’éducation morale et la légitimité font un bon dirigeant, il rompt avec le cadre idéaliste développé au Moyen Âge et cultivé par les scolastiques (juristes et théologiens). À la Renaissance, le modèle de la vertu n’était plus défendu comme quelque chose de bon en soi, mais comme un ensemble de qualités d’un bon gouvernement. De même, les humanistes, nourris par Thomas d’Aquin et Ptolémée de Lucques et culminant avec Marsile de Padoue, ont rompu avec l’État de droit et les intérêts hérités d’Aristote pour les questions constitutionnelles.
Parmi des exemples notables, Leon Battista Alberti, dans De iciarchia, propose une véritable théorie du « monarque domestique » (p. 328-334). Contre la famille Médicis, Alberti défendit le système des grandes familles de Florence. Ces personnes gouvernent selon la vertu pour le bien de leurs enfants et de leurs proches, ce qui leur permet naturellement de réaliser les intérêts de tous. Comme autre exemple, Francesco Patrizzi, ardent platonicien et méritocratie convaincu, fondait la légitimité d’un monarque sur un caractère vertueux inculqué et cultivé à travers une éducation humaniste (p. . 386-422). Pour Patrizzi, la vertu est un facteur à prendre en compte dans l’héritage, un critère qui peut aller à l’encontre de l’ordre naturel de primogéniture.
A la croisée du Moyen Âge et de Machiavel
Le discours humaniste décrit par James Hankins semble ainsi ouvrir la voie à une conception instrumentale de la vertu comme simple outil politique, sans pour autant l’endosser pleinement. Cependant, avec le recul, certains cas ressemblent à des signaux d’alarme. La Vie de Filippo Maria Visconti, écrite par Pierre Candido Disembrio, offre ainsi une exhaustivité surprenante qui établit la règle princière plutôt que des valeurs directrices (p. 141-147).
Si l’on regarde par exemple l’éthos médiéval de Gilles de Rome, cette discontinuité est certainement nuancée. Michel Senerard a pu le démontrer dans ses Principes de gouvernement. [3] Comme on est parfois près d’un renversement machiavélique. James Hankins prend également grand soin de construire des ponts pour rappeler l’impact durable de certains textes médiévaux. En cela, l’auteur présente une vision cohérente d’une « politique de la vertu » humaniste, tout en rejetant l’idée d’une rupture trop nette entre les périodes chroniques traditionnelles, pointant vers un point médian entre le Moyen Âge et le Moyen Âge. un recentrage sur l’humanisme politique. et Machiavel, Guichardin et le siècle de la raison d’État.
Loin de minimiser la nouveauté qu’incarnait Machiavel, la fin de l’ouvrage lui est avant tout dédiée (p. 423-494). Surtout, la politique de la vertu permet de mieux comprendre en quoi elle consiste. Un siècle d’humanisme éclaire la figure du scribe florentin et nous aide à comprendre comment on passe du règne de la vertu à la vertu pratique du prince. Cela affecte également nos opinions politiques modernes. C’est du moins la conviction, ou peut-être le désir, de l’auteur. James Hankins jette un regard à peine voilé sur certains de nos dirigeants actuels, soulignant la notion ancienne selon laquelle les bons dirigeants sont avant tout bons envers leur peuple, et que la rébellion n’est jamais simplement le symptôme d’un mauvais gouvernement. S’il y a une leçon qu’il doit retenir des humanistes, c’est que sans autorité morale, il n’y a pas d’autorité politique.
James Hankins, « La politique de la vertu ». Soulcraft and Statecraft in Renaissance Italy, Cambridge (Massachusetts), Harvard University Press, 2019, 768 pages.